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Didier SICARD, Santé animale & humaine

En novembre 2020, Didier SICARD, professeur émérite à l'université de Paris et ancien président du comité consultatif d'éthique était l'invité des Matins de France Culture. Deux questions lui étaient posées :
l'annonce d'un vaccin efficace à 90% contre le Covid-19 est-elle une bonne nouvelle ?
l'information d'un élevage de visons contaminés au Danemark permettra-t-elle d'avancer dans les connaissances ?
Cet entretien de 40 mn peut être visionné ou écouté à partir du site de France Culture.
Didier SICARD, Santé animale & humaine

Didier SICARD dans les studios de France Culture (Les Matins du 10/11/2020)

L'entretien avec Didier SICARD peut être écouté ou visionné à l'aide du lien ci-après :

 

Voici un résumé de son propos :

Le vaccin PFIZER et BioNTech, efficace à 90 %. Est-ce une bonne nouvelle ?

Didier SICARD :

C’est une grande nouvelle. D’abord parce que c’est nouveau. C’est la première fois qu’un vaccin de type ARN serait efficace. Un vaccin de type ARN (contrairement au type ADN qui a besoin de passer par le noyau de la cellule pour atteindre le cytoplasme) va directement dans le cytoplasme des cellules pour provoquer la réaction vaccinale. Il prend un chemin plus direct, plus rapide mais il est beaucoup plus fragile. Il doit être conservé à -80 °C. Donc la logistique vaccinale ne peut se concevoir qu’en milieu hospitalier et il y a encore du travail à faire sur ce point.

Un vaccin efficace à 90 % qui semble bien toléré par les personnes, c’est un immense espoir parce qu’il n’existait pas de vaccin contre le coronavirus. Mais l’espoir est à tempérer car ce sont les résultats de 20 000 essais + 20 000 placebos. Il reste du chemin avant la généralisation. Dans le passé, il y eu des précédents. Le vaccin contre la dengue était très prometteur et cela a été un échec car il était mal supporté, par les enfants notamment.

Il s’agit donc d’une bonne nouvelle, qui reste à confirmer. Il faut rester prudents et la prévention va rester nécessaire en 2021.

On pourrait mieux utiliser les moyens et connaissances à disposition

Didier SICARD :

On confond les personnes « cracheurs de feu », chargés de virus et donc très contaminants et celles qui ont quelques particules virales résiduelles.

Avec la PCR, une machine analyse le spectre de l’échantillon prélevé par écouvillon et peut trouver le virus.

  • Si la machine découvre le virus au bout de 20 unités de temps, cela signifie que la personne est porteur de beaucoup de virus (charge virale élevée).
  • Si la machine découvre le virus au bout de 80 unités de temps, il s’agit de fragments résiduels, pas forcément contaminants.

Avec les tests en une minute, vous savez si vous êtes positif ou négatif.

  • Si vous êtes positif, vous avez une charge importante. L’information est très utile, car sachant qu’elle est très contaminante, la personne peut s’isoler tout de suite.
  • Si le test est négatif, vous pouvez être porteur d’un peu de virus. Le PCR sera utile pour évaluer l’intensité de la charge.

Dans le cas du test négatif, on sait qu’on a plus de temps pour attendre les résultats (ce qui est le cas avec la PCR).

On tarde à bien utiliser les moyens biologiques validés à notre disposition :

  • Les tests pour savoir qui doit être isolé très rapidement (pendant la période de forte contamination),
  • Le PCR pour mieux évaluer la charge virale.

Il faudrait également utiliser toutes les connaissances que nous avons. En mars, un labo analysait et donnait les chiffres de présence du virus dans les eaux usées. Cette information a disparu. Or, les eaux usées sont un marqueur d’une extraordinaire utilité pour tracer la présence du virus.

Sur le confinement des personnes vulnérables, faut-il les isoler ?

Didier SICARD :

Il faut prendre le problème à l’envers. Les personnes vulnérables sont généralement les plus pauvres : celles qui vivent à 10 dans 40 m², celles qui sont à la rue ou qui ont un handicap physique, mental...

On pourrait, comme en Allemagne, aller à leur rencontre en leur proposant des tests et, si elles sont positives, les mettre à l’abri (dans des hôtels vides) le temps nécessaire. Cela rendrait service à tout le monde.

Les autres personnes vulnérables (qui ont les moyens financiers) doivent faire preuve de responsabilité personnelle. Je vois mal comment la société pourrait trouver une solution extérieure à elles-mêmes.

Est ce qu’on en sait plus sur l’origine du virus. Que pensez-vous de l’information sur la contamination de l’élevage de visons au Danemark ?

Didier SICARD :

C’est une nouvelle aussi intéressante que celle du vaccin. Le vaccin va répondre au problème du Sras et de la Covid19. La découverte de l’origine animale du virus va permettre de répondre aux questions du futur, à plus long terme.

Il faut comprendre que les 17 millions de visons élevés industriellement au Danemark est une complète absurdité au moment où l’on connaît l’enjeu de la biodiversité. C’est une concentration animale qu’il faut arrêter définitivement parce que, quand vous avez une concentration d’animaux et un virus, c’est comme si vous mettiez une allumette dans un puits de pétrole.

Les chinois, en concentrant leurs porcs, ont eu jusqu’à 200 millions de porcs. Heureusement la peste porcine n’est pas passée à l’homme mais elle a décimé le cheptel porcin.

L’élevage transformé en industrie alimentaire est une folie sur le plan infectieux.

Qu’est ce qui s’est passé au Danemark ? Les éleveurs qui avaient le coronavirus (comme le reste de la population) ont contaminé les visons. C’est la première fois que les humains contaminent les animaux. Les visons ont été contaminés mais ils ont muté le virus qu’ils avaient reçu de l’homme et ils ont retransmis à l’homme un virus un peu différent. Ce qui pose problème parce que, si c’est une nouvelle souche virale qui se répandait, l’effet PFIZER tombe à l’eau.

Qu’est ce que cela pose comme problème nouveau ? Cela montre que ce virus est capable de franchir la barrière des espèces et de passer de l’animal à l’homme et de l’homme à l’animal.

Revenons en Chine et en 2003 avec le cas du Sras1 à Canton. On accuse la civette qui est un rongeur. On détruit les civettes alors qu’on s’est aperçu que c’est la chauve-souris qui avait transmis le virus à la civette. En réalité, la banque(= le réservoir) des virus, ce sont les chauves-souris.

Au début du XXIe siècle, au Moyen-Orient, on a un coronavirus qui a atteint les porcs et du porc, il est passé à l’homme. Toujours au Moyen-Orient, le coronavirus a atteint les chameaux et des chameaux, il est passé à l’homme.

En Chine, à Wuhan, les chauves-souris sont en quantité considérable avec des pangolins dans des conditions immondes. Les chauves-souris sur les marchés excrètent des nuages viraux. Mais il nous manque l’espèce qui a pu être l’intermédiaire entre les chauves-souris et l’homme. On a accusé le pangolin mais on n’a pas réussi à l’identifier.

Le fait qu’on ait trouvé le coronavirus dans un élevage de visons au Danemark peut laisser penser qu’on ait un élevage intensif d’animaux de fourrure en Chine de raccoon dogs (chien viverrin en français) qui ait été le transmetteur. Je n’ai pas de preuve car je ne travaille pas là-dessus. Mais il faut rechercher l’espèce animale qui est le maillon manquant.

Alors qu’on pensait que le coronavirus était très stable, on se rend compte qu’il passe d’une espèce à une autre. Et quand il passe du vison à l’homme ou de l’homme au vison, le virus mute.

On pourrait imaginer que le coronavirus était présent sans avoir de caractère pathogène mais qu’en mutant, le virus a trouvé la clé pour attaquer les cellules pulmonaires. Il faudrait donc travailler sur la transmission du virus d’une espèce à l’autre.

Les chauves-souris, au fil des siècles, ont établi une sorte de pacte avec le coronavirus. L’intérêt du coronavirus n’est pas forcément de détruire son hôte mais plutôt de vivre en bonne entente avec lui. Les chauves-souris qui vivent 30 à 35 ans ont peut-être un système immunitaire plus performant, qui les protège mieux en raison de leur capacité de vol… Peut-être ? Mais quand elles sont en situation de détresse sur un marché, elles crachent des coronavirus (qui ne les affectent pas elles-mêmes) et elles envoient des aérosols viraux dans les espaces qui les entourent, là où il y a d’autres espèces animales qui y sont sensibles (comme les visons). Ces animaux les reçoivent. Le virus mute à l’intérieur de ces animaux et un virus différent est renvoyé à l’humain. Alors que, sans cela, le virus serait incapable de muter directement de la chauve-souris à l’homme.

Ce qui me frappe c’est que l’on met des milliards de dollars sur le vaccin, sur l’économie en déperdition mais qu’on met très peu d’argent sur la transmission du virus entre les animaux et l’homme. La santé animale et la santé humaine sont tellement imbriquées que, si on veut affronter le virus avec intelligence, il faut essayer de comprendre comment il peut (ou il ne peut pas) passer d’une espèce à une autre.

Je pense que le vison qui a la capacité d’absorber un virus et de le renvoyer à l’homme sous une forme un peu différente est un nouvel élément qui devrait nous ouvrir un nouvel horizon pour la santé animale et humaine.

Pourquoi ce phénomène apparaît-il aujourd’hui ?

Le problème c’est que, depuis 5-6 ans, le commerce des animaux sauvages flambe dans des pays et en particulier en Chine. Les chinois ont une relation aux animaux exotiques très spécifique au monde. Le commerce d’animaux sauvages est interdit par tous les traités internationaux. En Chine, on estime ce marché à 70 milliards de dollars. Il est très difficile à arrêter car c’est un marché souterrain. Dans un pays totalitaire comme la Chine, la liberté de se nourrir et d’avoir des animaux sauvages reste très grande. Et je crois que si on commençait à interdire le commerce des animaux sauvages en Chine, on aurait, si non des révoltes, au moins des protestations.

La présence de la Chine en Afrique a véritablement drainé beaucoup d’animaux sauvages. Il y a en Chine une culture d’appropriation de l’animal sauvage vivant.

Un rapport par un groupe international d’étude sur les animaux sauvages et la biodiversité tire la sonnette d’alarme vis à vis de cette vision très simpliste selon laquelle les animaux sont secondaires.

S’il n’y a pas un sursaut réglementaire, de nature contraignante, ce sera très dangereux. Et même dans nos pays, si on fait des élevages gigantesques de tels ou tels canards au nom de l’économie industrielle, je pense qu’on joue avec le feu.

La ferme des 1 000 vaches est une absurdité. Non pas sur le plan économique, cela rapporte beaucoup d’argent. Mais, quand on a une maladie présente sur une vache, elle est diffusée à l’ensemble des bovins.

Je pense qu’il y a une sorte d’ignorance et de désinvolture par rapport à la capacité humaine de comprendre comment cela se diffuse.

Nous rencontrons ces épidémies au XXIe siècle parce qu’il y a une concentration d’animaux sauvages ahurissante en termes de nombre, que cela arrive dans des villes gigantesques en concentration humaine par des transports aériens et ferroviaires extrêmement rapides.

Nous réunissons là toutes les conditions favorables pour offrir au virus une capacité de diffusion comme jamais auparavant.

Faut-il mettre fin à la concentration animale en élevage ?

Didier SICARD :

Il y a quelques jours, je voyais qu’on accusait ces « pauvres » oiseaux sauvages migrateurs, en disant : « C’est scandaleux, ils vont infecter nos élevages ». Alors évidemment, si on a 100 000 canards sur quelques centaines de mètres carré ou un million de poulets… évidemment que cet oiseau migrateur, qui va rejeter un peu de virus, va mettre le feu. Il faudrait avoir des élevages raisonnables pour qu’on n’ait pas le sentiment que les oiseaux migrateurs sont des oiseaux de malheur.

Il faut qu’on s’habitue désormais à considérer à ce que la gente animale soit respectée dans sa capacité naturelle, de ne pas les concentrer d’une façon telle que l’on crée les conditions des épidémies à venir.

Nous ne sommes plus sur des hypothèses. Nous avons la certitude que les concentrations animales, les concentrations humaines et les transports sont des vecteurs amplificateurs dans la diffusion des virus qui, eux, sont en train d’attendre tranquillement leur destin…

Le vaccin sera toujours une réponse merveilleuse mais une réponse qui arrive à posteriori. La véritable question est de parvenir à prévenir, à anticiper.

C’est pour cela que le pense que les vétérinaires et la médecine humaine devraient travailler ensemble.

Il faut désormais penser que l’élevage industriel est une menace infectieuse et que, quelles que soient les précautions, on ne peut jamais écarter qu’un agent viral extérieur ne puisse rentrer.

L’information sur les visons danois est la meilleure nouvelle qu’on ait entendue pendant ces derniers mois, avec celle du vaccin évidemment. Je crois qu’on commence à comprendre le puzzle.

Pour être rentable, l’économie des élevages ne doit pas pour autant se faire au détriment de la santé des humains. C’est pour cela que je pense que, actuellement, les vétérinaires ne sont pas suffisamment entendus.

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