Réguler le foncier : comment et pour quels objectifs ?
LA PROPOSITION DE LOI
Après que le Conseil constitutionnel ait invalidé à deux reprises un texte de loi qui visait à réguler le transfert des parts sociales de société agricoles, Jean-Bernard SEMPASTOUS va déposer une nouvelle proposition de loi puisque le problème reste entier.
La voie du transfert de parts sociales est un moyen connu pour échapper à la régulation des agrandissements.
Le dispositif consisterait à soumettre les mouvements de parts sociales et actions de société à une autorisation administrative préalable, attribuée par la préfecture. Le rôle opérationnel serait confié aux Safer.
DES FAIBLESSES DANS LE TEXTE INITIAL
Le texte du député LREM contient plusieurs faiblesses :
- Le seuil de déclenchement serait l’agrandissement excessif, défini dans le schéma des structures régional (En Nouvelle-Aquitaine, le projet en cours de finalisation fixe ce seuil à 180 ha ″équivalent céréales″ par chef d’exploitation) ;
- Des accommodements sont prévus. Par exemple, s’il est démontré que le projet contribue à la vitalité du territoire.
LE DÉBAT D’UTAA
Le 18 janvier, « Urgence transformation agricole et alimentaire (UTAA) » proposait un webinaire relatif à la politique foncière. Dans la partie relative aux droits d’usage des espaces agricoles, Robert LEVESQUE, président d’AGter (Améliorer la gouvernance de la terre, l’eau et les ressources naturelles) y a dressé un état des lieux de la concentration foncière et de ses effets sur l’agriculture paysanne, familiale.
Les chiffres officiels (Eurostat) montrent que, en 2016, 3,3 % des unités de production couvraient 53 % des surfaces quand 78 % des unités de moins de 10 ha n’occupaient que 11,2 % des surfaces.
Robert LEVESQUE souligne que ces chiffres officiels sous-estiment la réalité de la concentration foncière.
PARTIE IMMERGÉE DE L’ICEBERG
Le président d’AGter donne quelques exemples qui illustrent ce décalage.
Ainsi, la FNSAFER a indiqué qu’en Haute-Normandie, derrière une cinquantaine d’exploitations faisant chacune une déclaration Pac, se trouvaient en réalité moins de 20 unités de production.
En Europe, en 2019, un groupe financier britannique (Spearhead international) gérait 89 000 ha (contre 84 000 en 2016) répartis en 25 sites dans 5 pays différents de l’UE : 8 000 ha au Royaume-Uni, 16 000 ha en Roumanie, 5 000 ha en Slovaquie, 27 000 ha en Tchéquie et 32 000 ha en Pologne.
À ce propos, lire aussi l’article des Infos agricoles du 18/12/2020 (n°3067) sur les travaux d’un groupe d’experts qui cherchent à évaluer la réalité de cette concentration à l’échelle mondiale. Et, selon eux, 1 % des exploitations concentrent 70 % des terres agricoles.
La concentration des terres s’effectue par plusieurs moyens : le marché des terres, le marché des locations et le marché des actions ou parts sociales. « S’il n’y a pas de régulation, la concentration sera encore plus importante », insiste Robert LEVESQUE qui n’oublie pas le phénomène de la délégation intégrale de services2.
PRÉSERVER LES TERRES AGRICOLES
UTAA avance plusieurs propositions concrètes. Pour protéger le foncier agricole et atteindre l’objectif de zéro artificialisation, les auteurs de la note relative au foncier préconisent de classer les espaces (agricole, naturel, forestier) et de considérer que, a priori, celui-ci doit être protégé.
ORGANISER LE PARTAGE
Pour mieux organiser le partage du foncier agricole, il est suggéré de soumettre l’ensemble des échanges et transferts au contrôle des structures. Pour cela, ils souhaitent que la CDOA (section structures et économie) et le comité technique départemental soient réunis en une seule commission.
L’information cadastrale qui identifie le propriétaire serait à compléter par une indication sur qui en détient le droit d’usage (par fermage ou délégation de services...) et, quand on a affaire à une société, qui est derrière ?
« Pour lutter contre le blanchiment, une directive européenne de 2015 impose aux sociétés de désigner un déclarant effectif. Ce mécanisme pourrait être appliqué pour savoir qui exploite le fonds », plaide le président d’AGter avant de conclure : « L’info de base est disponible. Ce qui fait défaut, c’est la volonté politique de faire et de savoir ».
REDYNAMISER
Alain GUÉRINGUER pense qu’il s’agit bien de redynamiser la politique des structures. « Dans les années 60, le contrôle des structures était un des éléments d’une politique agricole qui voulait professionnaliser le métier, ce qui a provoqué le départ des petits paysans. Aujourd’hui, nous avons un contrôle mais nous n’avons plus d’objectifs politiques », commente t-il.
1 – Revoir le débat à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=oVo0HmU4I7o.